Le blog littéraire de Renaud Meyer

Les belles oeuvres sont filles de leur forme, qui naît avant elles. Paul Valéry

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Ring à Bastille

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Il est des expériences surprenantes. Ainsi de se laisser emporter par Wagner, cinq heures durant, saoulé par cette musique sublime, aux flots puissants auxquels aucune âme bien faite ne peut résister. Il y a ce terriblement magnétique chez Wagner, qui nous fait rester malgré la fatigue. Wagner tient de l’expérience physique. Il nous berce, nous éreinte, nous enveloppe avant de faire jaillir l’émotion de nos corps fatigués, abandonnés, attentifs. Les larmes ne peuvent que jaillir de l’attente. Ainsi du duo entre Siegfried et Brünnhilde, lorsque les chanteurs sont à hauteur des Dieux. C’est le cas dans la version donnée à l’Opéra Bastille sous la baguette inspirée de Philippe Jordan. Katarina Dalayman est une Brünnhilde à pleurer. Son assise vocale nous offre Wagner et l’émotion qui s’y cache. Comment résister…

Wagner, lui, résiste à l’âge, aux époques et aux mises en scènes médiocres. La force du Ring est là, dans la puissance de cette œuvre magistrale qui a traversé le temps pour nous saisir. Je ne croyais pas un adolescent de 13 ans capable d’entreprendre un tel voyage. Je me disais qu’après un entracte, l’envie de triturer un écran tactile serait plus forte que la musique de Wagner. Mauvaise nouvelle pour Apple. L’iPhone 6 sera démodé avant que le Ring ne succombe. Et c’est décidément rassurant pour la civilisation, en dépit de ce que tous les aphorismes de Woody Allen pourront en dire (« Quand j’entends Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne »).

Il est un peu tard pour « Siegfried » dont les représentations se terminent demain. Mais « Le crépuscule des Dieux » achève ce Ring en juin. Pour Wagner dirigé par Jordan, pour Katarina Dalayman, sans hésiter. Torsten Kerl en Siegfried manque un peu de puissance et la mise en scène de Günter Krämer n’est pas un plaisir pour les yeux, même s’il se rattrape à l’acte III par une scénographie à la hauteur du projet. Il faut espérer du Crépuscule. Et pourquoi pas entreprendre ce voyage en famille.

Written by Renaud Meyer

mars 29, 2011 at 12:42

Voir Aix et mourir

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une-lueur-dans-le-crepuscule,M24063En ce début d’été, la chaleur prend les corps sans ménagement, les fige, les trempe, les plaque au sol. Comment supporter une soirée de gala, encravaté, souriant, débordant de bonheur estival sans mourir sous le harnais de la représentation ? C’est que la musique du festival d’Aix transforme nos molécules.

« Le crépuscule des dieux » nous fait oublier qui nous sommes. Wagner préfigure le cinémascope. L’action court à la vitesse d’un cheval au galop. La baguette de Sir Simon Rattle est sans failles. Stéphane Braunschweig offre un écrin grandiose à ce drame mythologique. Les voix de Ben Heppner et Katarina Dalayman sont somptueuses. Puissantes, souples, terriblement humaines. Nul besoin d’aimer l’opéra. On est pris par le flot de ces cinq heures qui nous laissent sur le sable, ivres de spectacle et morts du plaisir d’être à peine conscients de ce que l’on vient de vivre.

Aix et son grand théâtre ne sont pas à deux pas. Alors rendez-vous ce lundi 6 juillet à 17 h 30 sur Radio classique pour la retransmission du spectacle dans son intégralité et pour ceux que l’image tenterait, l’acte III sera visible jeudi 09 Juillet à 21h50 sur France 3.

Aix était aussi à mourir de rire tant le grotesque se mêlait au désastre de cet Idoménée, mis en abîme par Olivier Py, pourtant si novateur, créatif, aventureux. Et le ministre en charge de la culture d’assister au naufrage. Allait-il retirer à l’architecte de cette embarcation pourrie les clés de l’Odéon pour les troquer contre celles de quelque cabaret ?

Fallait-il faire de cet opéra de jeunesse une ode à Cocteau sur le parvis glacial de la Défense ? Hommes aux complets noirs, barres métalliques, néons aveuglants, voix sans âme, désaccordées, minuscules. Py s’est voulu plus fort que Mozart jusque dans ce final affligeant où s’y déhanche un travesti et qui jaillit comme une boursouflure.

imagesLe rire d’Amadeus s’élevait dans les hauteurs du théâtre de l’Archevêché quand le rideau s’est baissé sur le sourire gêné du metteur en scène hué par le public. L’auteur s’est vengé avec délectation du démembrement de son œuvre. C’était à mourir.