Le blog littéraire de Renaud Meyer

Les belles oeuvres sont filles de leur forme, qui naît avant elles. Paul Valéry

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Les talents de demain

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Deux représentations uniques, gratuites, mais pour lesquelles il fallait réserver. Le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique donne tout au long de l’année des représentations publiques dans son mythique et beau théâtre. Et puis, il arrive que les élèves et leurs professeurs se fassent itinérants pour offrir leur art hors les murs.

C’est ainsi que les 27 et 28 avril, Daniel Mesguich a mis en scène « La fiancée aux yeux bandés » d’Hélène Cixous à l’Espace Pierre Cardin. Initiative heureuse qui conviait les spectateurs d’un jour à un véritable spectacle à mille lieux des exercices d’élèves.

Il fallait y être, pour voir l’art du maître qu’est Mesguich au service d’un texte écrit pour lui, sur un thème qui électrise son travail depuis trente ans : « Hamlet », et la puissance de jeunes pousses, dont il a le don de révéler l’essence dramatique.

Une création donc, où Cixous, immense auteur de pièces, d’essais et de romans, s’amuse du cœur du théâtre, du secret des mots et du destin des hommes. Un fil tendu délicatement, avec le sourire amusé de celle qui sait, au metteur en scène, à l’ami, à celui qui n’hésite pas à le saisir pour tisser une toile éblouissante dans laquelle on se laisse piéger depuis des années avec le même délice.

Mesguich nous convie à assister à un miracle : voir jouer Jeanne Moreau et Gérard Philipe avant qu’ils ne soient connus. Les voir à l’aube de leur carrière, au moment même où ils vont être Jeanne et Gérard. A prendre le pari qu’aujourd’hui, Sterenn Guirriec et Yohann Cuny, qui jouent Reguine et Amelait, soient ces étoiles de demain. Johann Cuny a la puissance d’un Depardieu naissant, Julien Campani est d’un tragique remarquable, Loïc Renard offre sans fard une fragilité séduisante et Clara Noël pourrait en apprendre à ses aînés sur le terrain de la sincérité et de la précision. Ceux-là n’ont que vingt ans, et tout l’avenir devant eux.

Réédition de « La beauté du diable »

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Les amoureux du cinéma français des années 50 l’attendaient depuis longtemps. Les voilà comblés. La réédition tant espérée de « La beauté du Diable », film en noir et blanc de René Clair, est enfin dans les bacs. Cette adaptation joyeuse du mythe de Faust est l’occasion de se replonger dans une époque où le théâtre inspirait le cinéma, et ça n’était pas si mal…

« La beauté du Diable » est un bijou. Et cette grâce qui domine le film, on la doit avant tout aux interprètes principaux : Michel Simon et Gérard Philipe. Ils sont tous deux au sommet de leur art, chacun à leur manière, et d’une façon si opposée, que c’en est jubilatoire. On entend dans les inflexions de Gérard Philipe les stances du Cid, on devine derrière les facéties de Michel Simon un peu de Boudu et du Félix Chapel de « Drôle de drame », en attendant le personnage attachant du « vieil homme et l’enfant ».

L’époque était foisonnante d’histoires. A quand la réédition de « La belle équipe » de Duvivier avec Gabin ? Patience…

Rêver, peut-être

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image_img_e1visuel5Les comédiens sont tout le temps en vacances et jamais en vacances. A peine ont-ils rangé les décors des festivals d’été que les voilà déjà prêts à entamer la rentée. Les vacances de l’intermittence. Et les colonnes Morris de se couvrir d’affiches. Listes des pièces de la saison pour le théâtre public, visages énormes des vedettes, jeunes ou vieilles, pour le privé. Choisir dans cette forêt touffue est un exercice complexe. Et j’avoue ne pas être guidé par une envie irrépressible de me ruer dans un théâtre en ce début de saison.

Nul besoin d’assister aux « Diablogues » avec Muriel Robin et Annie Grégorio, si grandes soient-elles, dans une mise en scène de Jean-Michel Ribes. J’entends déjà les répliques, je sais comment Muriel Robin les dira, ses appuis, ses mimiques, ses façons. C’est tellement pour elle, tellement attendu, tellement entendu. Dubillard joué au Rond-Point la saison dernière, avec deux stars masculines. Ça sonne comme du déjà-vu, de l’idée pour remplir une salle. Que dire d’ailleurs de cette « Grasse matinée » d’Obaldia aux Mathurins, sans le moindre intérêt si ce n’est de mettre en scène Cyrielle Clair. Et la « Cage aux folles » avec Clavier et Bourdon ? Le théâtre privé opère un revival 70’s tout à fait affligeant.

Quant au théâtre public, que propose-t-il ? Le théâtre de la Colline, repris cette année par le jeune et talentueux Braunschweig, s’embourbe dans une guerre de tranchées contre la fraîcheur et le grand public, déjà lancée par Alain Françon. La programmation est à peine croyable. Les auteurs à l’affiche ? Gerhart Hauptmann, Frank Wedekind, Daniel Keene, Tankred Dorst, Dea Loher, Marius von Mayenburg, Ibsen, et… Koltès. Quelle promotion des auteurs français contemporains… Quant à l’un des deux artistes invités, Michael Thalheimer, metteur en scène allemand, qu’on en juge par la brochure qui le présente : « Tous ses spectacles font le pari d’une esthétique radicale, impitoyable. Ce qu’il nous donne à voir est un monde sans illusions, où l’utopie n’a guère droit de cité et où les rapports de force et de pouvoir prédominent ». ça donne envie !

Je rêve parfois de théâtre, je veux dire d’un spectacle dont la simple évocation me pousserait à tout abandonner pour y courir. L’opéra offre cela parfois. Un chef immense, une production qui fait rêver.

Je l’avoue, le théâtre a du mal désormais à provoquer cela chez moi. J’y suis allé beaucoup, depuis que je suis capable de me tenir debout, j’y ai joué pas mal, un peu partout, et je ne crois pas qu’il soit mort ; il est là, attendant de se réveiller.

Il manque au théâtre l’alchimie de deux ou trois personnalités capables de grandes ambitions pour le public et de beaucoup d’audace pour eux-mêmes. Il y a ici et là des tentatives qui ne sont pas rien. « Le partage de Midi » à Marigny, reprise d’une création de la Comédie-Française dans un théâtre privé avec une valeur montante du cinéma, Marina Hands. Belle incursion. Comme le reprise de « La douleur » de Duras à l’Atelier, avec Dominique Blanc dans une mise en scène de Patrice Chéreau. Juliette Binoche à Marigny. Des tentatives de Jean-Michel Ribes au Rond-Point avec des auteurs contemporains. Quelques idées au théâtre Montparnasse, à la Comédie des Champs-Elysées, au théâtre Antoine, suivant les saisons. Mais une idée colossale déplaçant les foules…

J’ai été frappé par un documentaire consacré à Gérard Philipe, star mondiale du cinéma des années 50, rejoignant Vilar pour faire du théâtre ; son nom suit l’ordre alphabétique au même titre que ses camarades, tout comme son salaire !

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Voilà l’événement que nous attendons tous. Un acteur que le cinéma s’arrache quittant ses plateaux de tournage pour incarner le grand personnage d’une pièce contemporaine, sur une scène du théâtre public, là où on ne l’attend pas. S’il y a un revival à opérer, c’est bien celui-là.

La Comédie-Française pourrait créer cela. Inviter une actrice ou un acteur français immenses, dans son théâtre, pour une création, comme jadis le fit Raimu. C’est là une grande idée qui honorerait le théâtre. Vincent Cassel, Mathieu Amalric, Marion Cotillard.

Rêver, peut-être. Le reste n’est que poussière.