Archive for octobre 2010
L’expo Némirovsky
Le Mémorial de la Shoah (17, rue Geoffroy-l’Asnier 75004 Paris) organise jusqu’au 8 mars 2011 une exposition permanente autour d’Irène Némirovsky, écrivain de l’entre-deux guerres au destin tragique. L’occasion de suivre l’itinéraire de cette femme qui sut faire de la littérature un rempart contre les préjugés, la tyrannie maternelle et l’horreur nazie. Documents inédits, conférences, projections sous la houlette d’Olivier Philipponnat, commissaire de l’expo et auteur d’une remarquable biographie de Némirovsky. Allez-y, et pourquoi pas mardi 26 octobre à 19 h pour la projection de « David Golder », adaptation du premier roman de Némirovsky, film de Duvivier avec Harry Baur.
Il faut lire et relire Némirovsky, et l’aimer pour ce qu’elle fut autant que pour ce qu’elle fit. Il faut lire « David Golder » pour la violence de sa fraîcheur, son insolence et l’acuité de son regard, sorte de « Bonjour Tristesse » avant Sagan, par la jeunesse autant que le talent. Il faut lire « Des chiens et des loups » pour son romanesque et sa modernité. Et puis, bien entendu, « Suite française », pour son classique impeccable, son style, son histoire. C’est le roman inachevé ; le manuscrit que sa fille, Denise Epstein, garda contre sa poitrine pendant toute la guerre et durant trente ans – sans jamais l’ouvrir, croyant à un journal intime -, avant de le retranscrire mot à mot pour en faire un roman qui obtiendra le Renaudot à titre posthume. Dernier pied de nez à la barbarie, la postérité et la transmission.
Qu’est-ce que le théâtre ?
Reprise des cours à la Fac de Censier. Apprendre à écrire pour le théâtre à des étudiants tout juste sortis du lycée. Vaste question de micro précision. Comment confectionner ce mécanisme d’horlogerie qui donnera un spectacle ? Certains vont au théâtre, en ont fait, très peu ont déjà écrit. Et puis, il y a cette écriture d’aujourd’hui ; mauvais téléfilms, mauvaises pièces, sitcoms en séries qui leur font croire que l’ordinaire des mots suffit à l’art.
Alors la première question, dont les autres découlent, s’impose : Qu’est-ce que le théâtre ? Bel exposé de deux étudiantes qui ont eu l’idée d’interroger des passants sur la question en ne filmant que leurs pieds. Le théâtre représentation du monde. Le théâtre thérapie. Le théâtre engagé. Un lieu, un auteur, des acteurs, des spectateurs. Des situations qui révèlent les sentiments des personnages de la pièce. Et puis ? Prendre conscience qu’une scène s’articule autour d’une situation dramatique. C’est quoi la situation dramatique ? Des personnes qui ont des conceptions opposées du monde. Tout le théâtre n’est que cela.
Je donne l’axe principal de l’écriture théâtrale : créer une unité d’impression pour le spectateur, premier secret de l’art dramatique. Ciseler une chaîne d’impressions attachées les unes aux autres qui ne suit pas la réalité, mais produit dans l’esprit du spectateur le sentiment de ne jamais perdre l’histoire. Concevoir une action conduite par un personnage central au caractère immuable et vers lequel se tournent tous les regards. Tout Shakespeare est là.
Il faudrait avoir tout cela en tête, quand on écrit pour le théâtre. Et puis s’en défaire. Y penser, encore et encore dans un long chemin d’écriture.
L’enseignement est un très beau miroir.
Vargas Llosa, maître à penser
Voilà Mario Vargas Llosa Prix Nobel de Littérature contre toute attente, la sienne et celle des autres, qu’ils soient bookmakers ou bien admirateurs du maître. C’est le Pérou pour cet écrivain sud-américain qui s’inscrit désormais dans la lignée des Garcia Marquez.
Les curieux vont se ruer sur l’œuvre d’une figure taillée dans le marbre de la littérature et dévorer ses romans, à commencer par son « Tante Julia et le scribouillard ».
Ils feraient bien pourtant de se procurer sans attendre ses « Lettres à un jeune romancier » (Arcades Gallimard), où le maître nous révèle les secrets de l’art du roman, comme Rilke le fit naguère avec la poésie. Somptueuse plongée dans cette usine à imaginaire que l’on croit inviolable, mais dont Vargas Llosa nous offre une visite guidée aussi originale qu’intelligente.
On découvre, dans la boîte à outils du romancier, les instruments qui lui permettent de glisser le lecteur dans sa poche. Le style, l’espace, le temps, le pouvoir de persuasion, les mutations et les sauts qualitatifs apparaissent comme les moyens nécessaires pour que l’histoire devienne une réalité fictionnelle.
Il faut lire et relire ce petit livre. Car ce que réussit divinement Vargas Llosa, c’est donner au lecteur l’envie de devenir un petit horloger de la littérature, comme Flaubert et Cervantès avant lui.
« Nono » au théâtre de la Madeleine
Tout ce que l’on pourrait reprocher à ce spectacle, il faudra pourtant le louer. Ces décors peints à la main, où salon bourgeois et campagne normande imposent leurs figures naïves au spectateur, cette comédie de boudoir dont on connaît les sentiers par cœur, la présence de Guitry dans les mots autant que dans la façon de les dire, la légèreté du propos d’une œuvre de jeunesse.
Michel Fau, acteur et metteur en scène de cette aventure, a compris en bon architecte du théâtre, que la modernité ne passait pas par l’actualité. Elle puise au contraire sa force au tréfonds de l’œuvre elle-même, dans ce qu’elle donne à voir de théâtral.
« Nono », c’est du théâtre, et le théâtre est une alchimie curieuse dont la vision et les sonorités doivent provoquer le rire ou bien les larmes. Michel Fau suscite ainsi chez nous cette croyance théâtrale, grâce à la naïveté des décors, l’ordinaire des situations et la férocité profonde du jeu des acteurs ; chacun, d’ailleurs, équilibrant la force de l’autre par une couleur particulière, tragique chez Brigitte Catillon, cartoon chez Xavier Gallais, intellectuelle chez Michel Fau et innocente chez Julie Depardieu. Et cette alchimie fait rire.
Voilà un théâtre vers lequel il faut se précipiter.
Julie Depardieu étonne et émerveille, tant les actrices qui ont un jour décidé de brûler les planches ont consumé dans un même élan ce naturel qui faisait un miracle au cinéma. Julie Depardieu garde sur scène la joie lumineuse qui est la sienne à l’écran, et c’est un bonheur. Michel Fau est remarquable de maîtrise, frôlant Guitry sans jamais le rencontrer, Xavier Gallais est attendu quand il n’est pas sur scène tant il provoque le rire. Quant à Brigitte Catillon, son abandon tragique et total à son personnage vaut le détour. Alors courrez-y !
Adieu, Dany Wilde
Tony Curtis nous laisse l’image d’un play-boy magnifique capable de conquérir le cœur de toutes les femmes, y compris celui de Marilyn, tout en faisant de sa beauté un simple accessoire de son talent. Drôlissime dans « Certains l’aiment chaud », tragique dans « Trapèze », fragile dans « Spartacus », il sut prendre le risque de ne jamais être la victime de ses qualités. Avant les autres, il tentera l’aventure de la série télé avec « Amicalement vôtre ». Et l’on peut gager que c’est le sourire espiègle et les gestes garnements de Dany Wilde qui resteront dans nos esprits. C’est à lui que j’ai envie de dire adieu aujourd’hui, comme à une part de mon enfance qui disparaît comme se sont effacées les bandes des cassettes audio sur lesquelles j’enregistrais les épisodes dont je connaissais les dialogues par cœur. Voilà, les années 70, c’est ça, la voix de Michel Roux sur les frasques de Dany Wilde. Et ce n’est pas Beigbeder qui me contredira.