Le blog littéraire de Renaud Meyer

Les belles oeuvres sont filles de leur forme, qui naît avant elles. Paul Valéry

Archive for octobre 2010

Facebook, le film

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Mon expérience de Facebook n’aura duré que quelques heures. Le temps de mettre ma photo sur un mur, de me faire cinq ou six amis virtuels (qui étaient de vrais amis avant Facebook, mais qui se sont mis à me demander si je voulais être leur ami, ce que j’étais déjà, mais dans une vie antérieure, c’est à dire la vraie – Perd-on ses vrais amis s’ils deviennent virtuels ?), d’attraper le toc de celui qui veut vérifier toutes les demi-heures que quelque chose s’est passé dans sa vie toute neuve et enfin de recevoir le message d’un ami qui s’excuse de ne pas m’avoir téléphoné depuis trois mois et précise qu’il le fera dès demain matin, confession intime et soudainement planétaire qui m’a guéri de Facebook dans l’instant, fermant mon compte illico. Voilà pour mon petit scénario.

Côté Hollywood, Facebook ne dure que deux heures et se cache sous le costume plus sobre de « The Social Network ». Le film de David Fincher est prenant, convainquant et fera date autant dans l’histoire de Facebook que dans celle de la représentation de notre époque au cinéma. Deux bonnes idées tiennent le spectateur sur son siège : Jesse Eisenberg en Mark Zuckerberg et Mark Zuckerberg au pied de son mur.

Le premier est un jeune acteur de 27 ans qui tire à lui tout ce que Zuckerberg a toujours voulu garder dans son for intérieur. Eisenberg crée ainsi un personnage trouble et lâche que son passage de l’état d’étudiant éconduit à celui de milliardaire ne modifie pas d’un iota. A croire que le vrai Zuckerberg, qui lui non plus n’a pas changé, trouve ses motivations non dans l’argent mais dans un inconscient que j’ai déjà eu le loisir de détailler dans ces pages voici quelques mois (« La mémoire perdue de Mark Zuckerberg »).

Le second est Zuckerberg him-self, dont c’est ici la mise en accusation par ses anciens amis (ses derniers amis pas virtuels). Fincher vise juste. Il a compris que le climax de cette histoire se situait quand tombent enfin les masques et les sentiments, faisant de la création de Facebook un élément sans dramaturgie. Il sait construire, ce Fincher, contrairement à d’autres (personnage central qui tient l’histoire et entrée dans l’intrigue au moment où la crise se fait jour). Ainsi pas de dispersion pour le spectateur.

Reste, bien sûr, une part du problème Facebook qui n’est pas abordée (fichage, utilisation des données, obscénité, annihilation). Mais cette face cachée eut peut-être amoindri le propos concentré ici sur Zuckerberg et ses lâchetés.

A voir, donc, sur grand écran, et pas ailleurs.

Merci de faire circuler l’info sur vos murs…

Written by Renaud Meyer

octobre 28, 2010 at 12:49

L’expo Némirovsky

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Le Mémorial de la Shoah (17, rue Geoffroy-l’Asnier
75004 Paris) organise jusqu’au 8 mars 2011 une exposition permanente autour d’Irène Némirovsky, écrivain de l’entre-deux guerres au destin tragique. L’occasion de suivre l’itinéraire de cette femme qui sut faire de la littérature un rempart contre les préjugés, la tyrannie maternelle et l’horreur nazie. Documents inédits, conférences, projections sous la houlette d’Olivier Philipponnat, commissaire de l’expo et auteur d’une remarquable biographie de Némirovsky. Allez-y, et pourquoi pas mardi 26 octobre à 19 h pour la projection de « David Golder », adaptation du premier roman de Némirovsky, film de Duvivier avec Harry Baur.

Il faut lire et relire Némirovsky, et l’aimer pour ce qu’elle fut autant que pour ce qu’elle fit. Il faut lire « David Golder » pour la violence de sa fraîcheur, son insolence et l’acuité de son regard, sorte de « Bonjour Tristesse » avant Sagan, par la jeunesse autant que le talent. Il faut lire « Des chiens et des loups » pour son romanesque et sa modernité. Et puis, bien entendu, « Suite française », pour son classique impeccable, son style, son histoire. C’est le roman inachevé ; le manuscrit que sa fille, Denise Epstein, garda contre sa poitrine pendant toute la guerre et durant trente ans – sans jamais l’ouvrir, croyant à un journal intime -, avant de le retranscrire mot à mot pour en faire un roman qui obtiendra le Renaudot à titre posthume. Dernier pied de nez à la barbarie, la postérité et la transmission.

 

Written by Renaud Meyer

octobre 24, 2010 at 1:40

Qu’est-ce que le théâtre ?

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Reprise des cours à la Fac de Censier. Apprendre à écrire pour le théâtre à des étudiants tout juste sortis du lycée. Vaste question de micro précision. Comment confectionner ce mécanisme d’horlogerie qui donnera un spectacle ? Certains vont au théâtre, en ont fait, très peu ont déjà écrit. Et puis, il y a cette écriture d’aujourd’hui ; mauvais téléfilms, mauvaises pièces, sitcoms en séries qui leur font croire que l’ordinaire des mots suffit à l’art.

Alors la première question, dont les autres découlent, s’impose : Qu’est-ce que le théâtre ? Bel exposé de deux étudiantes qui ont eu l’idée d’interroger des passants sur la question en ne filmant que leurs pieds. Le théâtre représentation du monde. Le théâtre thérapie. Le théâtre engagé. Un lieu, un auteur, des acteurs, des spectateurs. Des situations qui révèlent les sentiments des personnages de la pièce. Et puis ? Prendre conscience qu’une scène s’articule autour d’une situation dramatique. C’est quoi la situation dramatique ? Des personnes qui ont des conceptions opposées du monde. Tout le théâtre n’est que cela.

Je donne l’axe principal de l’écriture théâtrale : créer une unité d’impression pour le spectateur, premier secret de l’art dramatique. Ciseler une chaîne d’impressions attachées les unes aux autres qui ne suit pas la réalité, mais produit dans l’esprit du spectateur le sentiment de ne jamais perdre l’histoire. Concevoir une action conduite par un personnage central au caractère immuable et vers lequel se tournent tous les regards. Tout Shakespeare est là.

Il faudrait avoir tout cela en tête, quand on écrit pour le théâtre. Et puis s’en défaire. Y penser, encore et encore dans un long chemin d’écriture.

L’enseignement est un très beau miroir.

Written by Renaud Meyer

octobre 18, 2010 at 6:29

Vargas Llosa, maître à penser

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Voilà Mario Vargas Llosa Prix Nobel de Littérature contre toute attente, la sienne et celle des autres, qu’ils soient bookmakers ou bien admirateurs du maître. C’est le Pérou pour cet écrivain sud-américain qui s’inscrit désormais dans la lignée des Garcia Marquez.

Les curieux vont se ruer sur l’œuvre d’une figure taillée dans le marbre de la littérature et dévorer ses romans, à commencer par son « Tante Julia et le scribouillard ».

Ils feraient bien pourtant de se procurer sans attendre ses « Lettres à un jeune romancier » (Arcades Gallimard), où le maître nous révèle les secrets de l’art du roman, comme Rilke le fit naguère avec la poésie. Somptueuse plongée dans cette usine à imaginaire que l’on croit inviolable, mais dont Vargas Llosa nous offre une visite guidée aussi originale qu’intelligente.

On découvre, dans la boîte à outils du romancier, les instruments qui lui permettent de glisser le lecteur dans sa poche. Le style, l’espace, le temps, le pouvoir de persuasion, les mutations et les sauts qualitatifs apparaissent comme les moyens nécessaires pour que l’histoire devienne une réalité fictionnelle.

Il faut lire et relire ce petit livre. Car ce que réussit divinement Vargas Llosa, c’est donner au lecteur l’envie de devenir un petit horloger de la littérature, comme Flaubert et Cervantès avant lui.

 

« Nono » au théâtre de la Madeleine

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Tout ce que l’on pourrait reprocher à ce spectacle, il faudra pourtant le louer. Ces décors peints à la main, où salon bourgeois et campagne normande imposent leurs figures naïves au spectateur, cette comédie de boudoir dont on connaît les sentiers par cœur, la présence de Guitry dans les mots autant que dans la façon de les dire, la légèreté du propos d’une œuvre de jeunesse.

Michel Fau, acteur et metteur en scène de cette aventure, a compris en bon architecte du théâtre, que la modernité ne passait pas par l’actualité. Elle puise au contraire sa force au tréfonds de l’œuvre elle-même, dans ce qu’elle donne à voir de théâtral.

« Nono », c’est du théâtre, et le théâtre est une alchimie curieuse dont la vision et les sonorités doivent provoquer le rire ou bien les larmes. Michel Fau suscite ainsi chez nous cette croyance théâtrale, grâce à la naïveté des décors, l’ordinaire des situations et la férocité profonde du jeu des acteurs ; chacun, d’ailleurs, équilibrant la force de l’autre par une couleur particulière, tragique chez Brigitte Catillon, cartoon chez Xavier Gallais, intellectuelle chez Michel Fau et innocente chez Julie Depardieu. Et cette alchimie fait rire.

Voilà un théâtre vers lequel il faut se précipiter.

Julie Depardieu étonne et émerveille, tant les actrices qui ont un jour décidé de brûler les planches ont consumé dans un même élan ce naturel qui faisait un miracle au cinéma. Julie Depardieu garde sur scène la joie lumineuse qui est la sienne à l’écran, et c’est un bonheur. Michel Fau est remarquable de maîtrise, frôlant Guitry sans jamais le rencontrer, Xavier Gallais est attendu quand il n’est pas sur scène tant il provoque le rire. Quant à Brigitte Catillon, son abandon tragique et total à son personnage vaut le détour. Alors courrez-y !

Written by Renaud Meyer

octobre 7, 2010 at 3:12

Adieu, Dany Wilde

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Tony Curtis nous laisse l’image d’un play-boy magnifique capable de conquérir le cœur de toutes les femmes, y compris celui de Marilyn, tout en faisant de sa beauté un simple accessoire de son talent. Drôlissime dans « Certains l’aiment chaud », tragique dans « Trapèze », fragile dans « Spartacus », il sut prendre le risque de ne jamais être la victime de ses qualités. Avant les autres, il tentera l’aventure de la série télé avec « Amicalement vôtre ». Et l’on peut gager que c’est le sourire espiègle et les gestes garnements de Dany Wilde qui resteront dans nos esprits. C’est à lui que j’ai envie de dire adieu aujourd’hui, comme à une part de mon enfance qui disparaît comme se sont effacées les bandes des cassettes audio sur lesquelles j’enregistrais les épisodes dont je connaissais les dialogues par cœur. Voilà, les années 70, c’est ça, la voix de Michel Roux sur les frasques de Dany Wilde. Et ce n’est pas Beigbeder qui me contredira.

Written by Renaud Meyer

octobre 2, 2010 at 3:10