Le blog littéraire de Renaud Meyer

Les belles oeuvres sont filles de leur forme, qui naît avant elles. Paul Valéry

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Facebook, le film

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Mon expérience de Facebook n’aura duré que quelques heures. Le temps de mettre ma photo sur un mur, de me faire cinq ou six amis virtuels (qui étaient de vrais amis avant Facebook, mais qui se sont mis à me demander si je voulais être leur ami, ce que j’étais déjà, mais dans une vie antérieure, c’est à dire la vraie – Perd-on ses vrais amis s’ils deviennent virtuels ?), d’attraper le toc de celui qui veut vérifier toutes les demi-heures que quelque chose s’est passé dans sa vie toute neuve et enfin de recevoir le message d’un ami qui s’excuse de ne pas m’avoir téléphoné depuis trois mois et précise qu’il le fera dès demain matin, confession intime et soudainement planétaire qui m’a guéri de Facebook dans l’instant, fermant mon compte illico. Voilà pour mon petit scénario.

Côté Hollywood, Facebook ne dure que deux heures et se cache sous le costume plus sobre de « The Social Network ». Le film de David Fincher est prenant, convainquant et fera date autant dans l’histoire de Facebook que dans celle de la représentation de notre époque au cinéma. Deux bonnes idées tiennent le spectateur sur son siège : Jesse Eisenberg en Mark Zuckerberg et Mark Zuckerberg au pied de son mur.

Le premier est un jeune acteur de 27 ans qui tire à lui tout ce que Zuckerberg a toujours voulu garder dans son for intérieur. Eisenberg crée ainsi un personnage trouble et lâche que son passage de l’état d’étudiant éconduit à celui de milliardaire ne modifie pas d’un iota. A croire que le vrai Zuckerberg, qui lui non plus n’a pas changé, trouve ses motivations non dans l’argent mais dans un inconscient que j’ai déjà eu le loisir de détailler dans ces pages voici quelques mois (« La mémoire perdue de Mark Zuckerberg »).

Le second est Zuckerberg him-self, dont c’est ici la mise en accusation par ses anciens amis (ses derniers amis pas virtuels). Fincher vise juste. Il a compris que le climax de cette histoire se situait quand tombent enfin les masques et les sentiments, faisant de la création de Facebook un élément sans dramaturgie. Il sait construire, ce Fincher, contrairement à d’autres (personnage central qui tient l’histoire et entrée dans l’intrigue au moment où la crise se fait jour). Ainsi pas de dispersion pour le spectateur.

Reste, bien sûr, une part du problème Facebook qui n’est pas abordée (fichage, utilisation des données, obscénité, annihilation). Mais cette face cachée eut peut-être amoindri le propos concentré ici sur Zuckerberg et ses lâchetés.

A voir, donc, sur grand écran, et pas ailleurs.

Merci de faire circuler l’info sur vos murs…

Written by Renaud Meyer

octobre 28, 2010 at 12:49

La mémoire perdue de Mark Zuckerberg

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Facebook, réseau social créé par un jeune Américain du nom de Mark Zuckerberg dont la propension à communiquer in vivo avec ses congénères était infinitésimale, pèse aujourd’hui quelques milliards de dollars. Cent millions d’internautes y sont connectés en permanence, et la non-appartenance à cette communauté mondiale – qui veut nous faire croire que les amis de mes amis de mes amis de mes amis ne me sont pas inconnus – sonne comme un crime de lèse ringardise. J’ai ma page, j’ai mon réseau, j’ai plein d’amis avec lesquels j’échange mes goûts, mes photos, mes expériences, et plus intime si stupidité… Certains facebookeurs l’ont appris d’ailleurs à leurs dépens en s’affichant avec d’illégitimes conquêtes.

Mark Zuckerberg, geeker en sandales et capuche, se retrouve à la tête d’une entreprise florissante capable aujourd’hui de concurrencer les géants du secteur. Car son trésor de guerre, ce n’est pas tant le réseau social qu’il a créé avec ses petites mains que la masse colossale d’informations dont il dispose sur cent millions d’internautes : couleurs des yeux, photos des enfants, loisirs favoris. Zuckerberg sait tout sur tout et tout sur vous, les vôtres et ceux qui vous connaissent. Certains évoquent déjà Orwell et son 1984. On peut penser plus gravement…

Je viens de passer plusieurs semaines à lire « La destruction des Juifs d’Europe », triptyque de 2300 pages de Raul Hilberg qui décortique la mécanique minutieuse et infernale de l’Holocauste. Expropriations, concentration, déportations, destruction, justifications. Une somme colossale et inégalée d’un processus inédit dont on ressort rincé et légèrement abasourdi.

Quel rapport avec Facebook ? Le point de départ du processus de destruction et son arme essentielle : les listes de noms et leur appartenance à une communauté définie ; cette lame de fond des régimes totalitaires. Tout part de là et tout y conduit.

Zuckerberg a perdu la mémoire, s’il en avait une. Il devrait réfléchir à ce qu’il a créé et qu’il garde comme un trésor, ou une bombe… Voilà bien le problème du geek en sandales et capuche, un peu inconscient de la vraie vie, celle qui – au-delà du virtuel – ne peut écraser sa mémoire comme celle d’un disque dur.

Written by Renaud Meyer

février 27, 2010 at 1:12